Plus de trois millions de Canadiens estiment que leur emploi est en danger à cause des changements technologiques et presque sept millions d’autres s’attendent à ce que leurs impacts soient tels qu’ils auront besoin d’une formation d’appoint pour s’y adapter, selon un sondage.

Ces proportions correspondent presque parfaitement aux plus récentes prévisions des experts, notamment de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a noté vendredi dans un entretien téléphonique au Devoir la sénatrice indépendante Diane Bellemare, qui a commandé le sondage réalisé par la firme Nanos. « D’une certaine manière, c’est fantastique. Cela montre que les gens sont bien conscients de la réalité à laquelle ils font face. »

Plus précisément, c’est 18 % des répondants qui ont estimé probable, ou plutôt probable, que des changements technologiques, tels que l’automatisation, l’intelligence artificielle, le commerce en ligne ou encore l’économie de partage, menacent leur emploi et 35 % qui pensent probable, ou plutôt probable, que ces mêmes changements affectent à ce point leur travail qu’ils auront besoin de formation.

« Cet enjeu de la formation tout au long de la vie est aussi important aujourd’hui que l’était celui de l’éducation dans les années 1960 », affirme l’économiste qui en a fait l’un de ses dossiers prioritaires au Sénat. Il en va, dit-elle, non seulement de la compétitivité et de la productivité des entreprises et de l’économie canadiennes, mais aussi du bien-être économique des Canadiens et des écarts de richesse entre les détenteurs des compétences requises par les nouvelles économies et les autres.

Une autre bonne nouvelle est que plus de la moitié (56 %) des Canadiens se disent prêts à suivre de la formation, notamment pour mettre à jour leurs compétences professionnelles (46 %) et parfaire leur maîtrise de l’informatique (48 %), mais aussi, plus simplement, pour améliorer leurs habiletés en lecture (11 %) et leurs compétences en mathématiques (26 %). Trois travailleurs sur dix sont même prêts à admettre qu’ils ont besoin d’une évaluation de leurs compétences.

Malheureusement, des 11 millions de Canadiens (56 %) qui souhaitent déjà suivre une forme ou l’autre de formation, près de la moitié (40 %) disent ne pas en avoir les moyens (24 %) ou ne pas avoir le temps (16 %).

Au Québec

Les perceptions des choses ne sont pas toujours les mêmes non plus, selon les types de travailleurs et les provinces, révèle le sondage, qui a été réalisé de façon aléatoire du 29 novembre au 2 décembre auprès de 1010 répondants dans le cadre d’un sondage omnibus hybride (par téléphone et en ligne).

Ainsi, si les travailleurs qui possèdent, au plus, un diplôme d’études secondaires ont presque trois fois plus peur que les nouvelles technologies leur fassent perdre leurs emplois (28 %) que les diplômés universitaires (10 %), ils sont moins nombreux à souhaiter recevoir de la formation (54 % contre 62 %).

Un phénomène similaire s’observe au Québec, où la peur de perdre son emploi (20 %) ou, à tout le moins, de voir se creuser l’écart entre ses compétences et les besoins de sa tâche (38 %) est plus grande que la moyenne canadienne et où pourtant l’intérêt pour une formation d’appoint est plus faible (49 %).

« Cela vient peut-être de la remarquable vigueur actuelle du marché de l’emploi au Québec et de la confiance des gens de se trouver quelque chose d’autre s’ils perdent leur emploi », avance Diane Bellemare. L’économiste plaide notamment pour l’attribution à chaque travailleur d’un « compte personnel de formation » qui lui permettrait une démarche individualisée et qui pourrait être financé par les gouvernements, les employeurs et les travailleurs.

Des améliorations

La rareté de main-d’oeuvre convainc de plus en plus d’entreprises québécoises à prendre au sérieux la formation de leurs travailleurs, a expliqué en entretien téléphonique au Devoir la directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, Manon Poirier, qui dit reconnaître dans le sondage de Nanos des tendances qu’on observe sur le terrain. Il s’offre, par exemple, de plus en plus de « microprogrammes » de formation technique adaptés aux besoins spécifiques des entreprises et des travailleurs, et qui se donnent souvent en milieu de travail.

Malheureusement, l’offre en matière de compétences relationnelles et émotionnelles se fait beaucoup plus rare, en dépit de leur importance centrale dans la nouvelle économie, déplore-t-elle. Et c’est encore pire pour les compétences de base en littératie et numératie. « Les organisations ne se sentent pas concernées, dit Manon Poirier. Et pourtant, comment voulez-vous apprendre de nouvelles compétences techniques sans cela ? »

 

E Desrosiers, Le Devoir, 8 février 2020