Vous est-il déjà arrivé de vous sentir frustré devant un employé talentueux qui présente des comportements inadéquats; il arrive en retard au travail, ne respecte pas certaines règles de l’entreprise, coupe la parole lors de réunions, semble désorganisé ou commet des oublis qui peuvent avoir des impacts majeurs? Or, cet employé s’avère très créatif, spontané, ambitieux et déborde d’énergie qu’il transforme en actions lorsqu’un projet l’intéresse. Ces manifestations révèlent peut-être chez lui un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Dans les faits, 4,4 % de la population adulte québécoise présenterait un TDAH, soit environ 290 000 personnes (Klesser et coll., 2006). Plus de la moitié d’entre elles ignorent en être atteintes. Au travail comme dans leur vie personnelle, ces adultes éprouveront des difficultés à bien réguler leur attention (Klein, R.G. et coll., 2012). Dans la plupart des cas, la désorganisation et la tendance à ne pas bien prioriser les tâches et activités font partie des manifestations cliniques de ce trouble. Pour d’autres, une hyperactivité s’ajoute autant dans les idées que dans les actions. Ils ont en tête mille et un projets qu’ils ont du mal à concrétiser. De plus, gérer les frustrations et leur agitation représente un défi pour eux. Enfin, certains doivent vivre avec les conséquences de leur impulsivité. Ils peuvent par exemple prendre des décisions sur le coup de l’émotion. Ce faisant, il éprouvent parfois de la difficulté à honorer leurs engagements (Polanczyk, G. et coll., 2007).

Dans un environnement de travail où les exigences de productivité et d’efficacité sont élevées, on comprend mieux pourquoi 70 % à 80 % de ces travailleurs disent ne pas atteindre leur plein potentiel. Des recherches indiquent même qu’ils perdraient en moyenne plus d’une heure par jour à cause de cette inefficacité. Sur une année, cela représente plus de 35 jours de travail en comparaison de leurs collègues qui n’ont pas de TDAH. Pour ces raisons notamment, ces employés présentent un taux de congédiement deux fois plus élevé que celui de la population générale (Ramsay, J. R. et A. Rostain, 2015)

Même si le tableau clinique du TDAH semble dresser un portrait peu flatteur de cette condition en milieu de travail, d’autres caractéristiques liées à ce trouble émergent comme des qualités très prisées par les organisations. En effet, une étude américaine révélée par le Wall Street Journal indique que 70 % des chefs d’entreprises américaines les plus prospères présentent des caractéristiques associées au TDAH telles que la prise de risque, la capacité à déléguer et la créativité. Parce qu’ils pensent autrement, les adultes présentant un TDAH peuvent contribuer de manière non négligeable au développement et au succès d’une entreprise. Ces travailleurs peuvent trouver des solutions très créatives à des problèmes complexes et débordent d’énergie lorsqu’un projet les stimule (Barkley et coll., 2010). Puisque plusieurs de ces adultes ont le potentiel d’être hautement productifs et peuvent représenter un atout majeur pour les milieux de travail, que peuvent faire les gestionnaires afin d’exploiter pleinement leurs forces tout en minimisant les impacts fonctionnels de cette condition?

Mesures d’adaptation?
Certaines organisations répondront à cette question en mettant en place des mesures d’adaptation destinées à ces employés. Cependant, ces types d’accommodements comportent certains inconvénients. Ainsi, les travailleurs ne faisant pas l’objet de mesures d’adaptation pourront éprouver un sentiment d’injustice devant ce traitement spécial, ce qui risque du même coup d’affecter leur motivation. Un employé pourrait alors se demander quel avantage lui procure le fait d’être performant, si la résultante est qu’on porte moins attention à ses besoins spécifiques. De plus, restreindre ces mesures à un groupe d’employés peut augmenter la stigmatisation au sein des entreprises. N’oublions pas que les problèmes de santé mentale au travail restent encore très tabous et attirer l’attention sur ces individus en appliquant des mesures spécifiques peut les exposer au jugement de leurs collègues. Que faire alors? Selon nous, la solution réside dans la mise en place de mesures d’adaptation dites universelles pouvant bénéficier à l’ensemble des travailleurs.

 

Voici quelques exemples des stratégies de gestion conçues pour répondre aux besoins particuliers de certains travailleurs, qui se révèlent également très utiles à l’ensemble des travailleurs.

1- Réduire les sources de distraction – Travailler sur un bureau épuré dans un endroit calme favorise l’attention. Certains outils peuvent être mis à la disposition des travailleurs tels des casques ou bouchons d’oreilles bloquant le son. L’investissement vaut largement le gain. Par ailleurs, de petits changements peuvent faire une grande différence. Certaines personnes reçoivent des notifications sur leur ordinateur de travail chaque fois qu’un courriel entre dans leur boîte de messageries. Le fait d’être continuellement interrompu au travail réduit le rendement de 50 % et augmente le nombre d’erreurs d’autant (Medina, J., 2008).

2- Faire bon usage de l’ergonomie technologique – La technologie, si elle est utilisée avec parcimonie, peut grandement améliorer la productivité et les conditions de travail. C’est ce que nous appelons l’ergonomie technologique. Puisque la technologie peut rapidement devenir une source de distraction, il importe de l’adapter aux besoins des travailleurs pour que son intégration reste une alliée. Les rappels automatiques, les agendas virtuels et partagés de même que l’utilisation de montres intelligentes peuvent permettre à tous les travailleurs de limiter les oublis.

3- Donner de l’importance à la créativité – Il est important de laisser une place durant les rencontres d’équipe pour discuter des solutions créatives proposées par les employés. Les meilleures idées émergent souvent de la confrontation avec celles de ses collègues. Cette pratique est stimulante et motivante pour les personnes présentant un TDAH et pour l’ensemble des travailleurs. Google l’a compris puisque 20 % du temps de travail sont consacrés à ce genre d’exercice.

4- Rendre les réunions stimulantes – L’ennui lors de longues réunions est souvent associé au présentéisme et, par conséquent, à une perte de productivité. Il est possible de contrer cette tendance en organisant ce qu’on appelle des Stand up meeting. Durant ces réunions éclairs, les participants se tiennent debout, ce qui les incite à être synthétiques dans leurs interventions et à arriver préparés à la rencontre. En plus de chasser l’ennui, les gens qui y participent sont plus disponibles et attentifs.

5- Privilégier les images plutôt que les mots – L’information visuelle a un impact notable sur la mémorisation. Après quelques jours, le cerveau retient 10 % de ce qu’il a lu versus 65 % de ce qu’il a vu (Medina, J., 2008). Il importe donc de simplifier les procédures en y ajoutant des pictogrammes et en limitant le nombre de mots. En sachant que le cerveau saisit les images cinq à sept fois plus vite que les mots (Brown, T., 2014), on comprend que l’utilisation des images rend l’information plus digeste et plus accessible pour tous. L’utilisation de cartes conceptuelles est une belle application de ce concept. Ce procédé permet de structurer les idées de manière visuelle. Cette technique devient particulièrement utile quand vient le temps d’organiser un projet complexe ou d’instaurer des procédures qui nécessitent plusieurs réunions. Ceci permet aux travailleurs de suivre le fil des réunions plus facilement, de réduire les oublis, d’éviter les répétitions et de favoriser les idées spontanées. Les entreprises gagneraient à l’intégrer davantage à leurs pratiques.

6- Miser sur les forces et les talents – Redéfinir les tâches en fonction des forces des individus. Certaines personnes sont plus efficaces lorsqu’elles travaillent de manière individuelle. D’autres œuvrent plus facilement au sein d’une équipe. Dans certains cas, relocaliser une personne dans un service qui convient davantage à ses intérêts et à ses aptitudes influe énormément sur sa motivation et sur sa productivité. Il n’y a pas de mauvais employé. Il y a seulement des personnes à la mauvaise place! 7- Prioriser et temporiser – Organiser les tâches en fonction de leur degré d’urgence et d’importance ainsi que prévoir du temps pour la mise en place d’un échéancier réaliste sont des moyens accessibles de mieux diriger son énergie. De plus, avoir recours à des systèmes de classement contenant des catégories judicieusement choisies permet de réduire le temps passé à chercher ses choses.

En conclusion 
Cet article visait à donner des pistes d’intervention aux professionnels et aux gestionnaires qui transigent à des travailleurs présentant un TDAH. Il est clair que la mise en place de ces moyens nécessite parfois un changement dans la culture de certaines organisations. Cependant, on a pu constater que ces transformations, tant d’un point de vue humain que d’un point de vue d’affaires, s’avèrent extrêmement positives dans les entreprises où elles sont effectuées.

Le bon fonctionnement des adultes présentant un TDAH ne dépend évidemment pas seulement de ce qui est mis en place au travail. Les personnes qui ont reçu le diagnostic ou qui pensent présenter cette condition devraient en parler à leur médecin. Dans la majorité des cas, un support pharmacologique joue un rôle important dans la réduction des symptômes négatifs liés à ce trouble. Il est également possible d’être accompagné par un coach, un ergothérapeute ou un psychologue pour favoriser un fonctionnement optimal dans l’ensemble des sphères de sa vie.

 

M. Pearson, D. Ps., psychologue, directeur clinique, Unité d’évaluation et de traitement du TDAH chez l’adulte
Mme Blondeau, M. Ps., psychologue organisationnelle